Plusieurs
publications récentes ont relativisé la responsabilité des
pesticides. Quitte à s’arranger grandement avec les faits.
L’information
n’est pas passée inaperçue. Récemment, la publication des
résultats de deux études sur le déclin de nombreuses espèces
d’oiseaux a connu un écho médiatique important (dont la « une »
du
Monde
datée
21 avril). Rapidement, le ministre de la transition écologique
et solidaire, Nicolas Hulot, a une fois de plus appelé
à changer les pratiques agricoles
pour « inverser
la tendance »
et réduire l’utilisation des pesticides.
Cette
annonce, fruit de deux réseaux d’étude gérés par le Centre
national de la recherche scientifique (CNRS) et par le Muséum
national d’histoire naturelle (MNHN), a cependant soulevé de
vives critiques
sur le rôle que jouent les pesticides dans ce déclin inquiétant,
et notamment dans une chronique
de vérification des faits diffusée sur Europe 1,
mercredi 28 mars. Mais celles-ci ont commis plusieurs erreurs
graves.
CE
QUI A ÉTÉ DIT :
« Les
chercheurs n’ont pas démontré le lien de causalité avec les
pesticides. »
POURQUOI
C’EST TROMPEUR
Les
travaux de suivi des populations d’oiseaux ne cherchent pas les
causes des variations d’abondance de cette faune, il est donc
normal qu’ils n’apportent pas directement de « preuves »
de la responsabilité des pesticides et de l’agriculture intensive,
ni d’ailleurs de tout autre facteur.
Par
exemple, une étude épidémiologique relevant la proportion de
fumeurs touchés par un cancer du poumon ne permet pas, en elle-même,
d’établir un lien de causalité entre la cigarette et la maladie.
Mais cela ne signifie pas que ce lien de causalité n’existe pas.
Un
ensemble d’indices concordants pour un éventuel lien de causalité
De
fait, il est très rare qu’une étude unique permette d’établir
un lien de causalité entre deux phénomènes : chaque étude
documente un fait précis (dans le cas présent, le déclin des
oiseaux des champs) et c’est un ensemble d’indices concordants,
apportés par une diversité d’autres travaux, qui fondent un
éventuel lien de causalité avec un autre phénomène. Affirmer que
les pesticides ne sont pas les premiers responsables du déclin des
oiseaux parce qu’une étude non destinée à chercher des liens de
causalité n’a pas mis en évidence de lien de causalité est une
erreur logique.
En
revanche, d’autres études établissent un lien fort entre
pesticides et déclin de la faune aviaire. Une étude publiée
en 2014 dans la revue Nature
a montré que la chute des populations d’oiseaux insectivores était
bien liée à la concentration d’insecticides néonicotinoïdes
dans l’environnement (aux Pays-Bas en l’occurrence).
Ce
lien est d’ailleurs mis en évidence à des niveaux de
contaminations minuscules, de l’ordre de quelques milliardièmes de
gramme – ou nanogrammes – de pesticide par litre d’eau
de surface prélevée dans l’environnement. « A
des concentrations d’imidaclopride [une
molécule de la famille des néonicotinoïdes]
supérieures à 20 nanogrammes par litre, les populations
d’oiseaux ont eu tendance à diminuer de 3,5 % en moyenne par
an,
écrivent les auteurs.
Des analyses complémentaires ont révélé que ce déclin spatial
n’est apparu qu’après l’introduction de l’imidaclopride aux
Pays-Bas, au milieu des années 1990. »
Des
chercheurs de l’Office national de chasse, de la forêt et de la
faune sauvage (ONCFS) ont, de leur côté, documenté l’existence
d’intoxications directes d’oiseaux granivores,
qui meurent de la consommation de semences enrobées de ces
pesticides.
Ce
ne sont là que deux études parmi les très nombreuses publiées
dans la littérature scientifique et montrant que ces nouvelles
générations de pesticides, utilisées depuis le milieu des années
1990, ont des effets délétères sur de nombreux compartiments de la
biodiversité. Dont les oiseaux, directement ou indirectement.
Les
faibles doses de pesticides sans impact ?
CE
QUI A ÉTÉ DIT :
« De
faibles doses de pesticides ont peu d’impact et ces intrants pèsent
trois à quatre fois moins dans le déclin des oiseaux que la
modification de leur habitat. »
POURQUOI
C’EST FAUX
L’étude
sur laquelle s’appuie cette affirmation est celle menée par des
chercheurs du Centre d’écologie et de sciences de la conservation,
qui a porté sur 199 champs observés dans trois régions
françaises. Elle n’a pas suivi ces parcelles sur une « longue
période » mais seulement entre 2009 et 2011. Un suivi temporel
aussi bref ne permet pas de mesurer les effets sur la biodiversité
des changements de pratiques introduits au milieu des années 1990
avec l’introduction de nouvelles générations d’insecticides
systémiques.
En
outre, la pondération citée (« ces
intrants pèsent trois à quatre fois moins dans le déclin des
oiseaux que la modification de leur habitat »)
est calculée en comparant des exploitations entre elles : c’est
une donnée relative qui ne permet pas de mesurer les responsabilités
partagées du déclin des oiseaux constaté depuis plusieurs
décennies.
Au
total, il existe plusieurs centaines d’études publiées dans la
littérature scientifique montrant sans ambiguïté les effets
délétères des néonicotinoïdes sur des invertébrés non ciblés.
Dix-huit chercheurs
d’une
dizaine de nationalités ont passé en revue l’ensemble de cette
littérature et en ont publié, en 2015,
une longue synthèse dans la revue Environnemental
Science and Pollution Research.
Leur conclusion :
« Malgré
d’importantes lacunes dans les connaissances et des incertitudes,
il existe suffisamment de connaissances pour conclure que les niveaux
actuels de pollution par les néonicotinoïdes et le fipronil,
résultant des utilisations actuellement autorisées, dépassent
souvent les plus faibles concentrations auxquelles des effets nocifs
sont observés. Ils sont donc susceptibles d’avoir des impacts
biologiques et écologiques négatifs à grande échelle et ce sur
une vaste gamme d’invertébrés non ciblés, dans les habitats
terrestres, aquatiques, marins et benthiques. »
Dans
la même revue, trois autres chercheurs ont publié, la même année,
une
synthèse de près de cent cinquante études
montrant la toxicité directe de ces substances pour les mammifères,
les oiseaux, etc.
Un
gramme d’imidaclopride peut tuer autant d’abeilles que
7,3 kilogrammes de DDT
En
ce qui concerne les néonicotinoïdes, les doses utilisées ne sont
pas « essentielles ».
En effet, ils sont principalement utilisés de manière systématique
et préventive, en gainage des semences mises en terre. Or certains
d’entre eux, en particulier l’imidaclopride, sont très
persistants et s’accumulent d’année en année dans
l’environnement. Au point que dans des régions agricoles du
Royaume-Uni, les fleurs sauvages sont également contaminées et
forment une source d’exposition importante pour les abeilles
domestiques, ainsi que l’ont montré
des chercheurs britanniques.
En
outre, ces pesticides sont les plus puissants jamais synthétisés et
agissent à très faibles doses : un gramme d’imidaclopride
peut tuer autant d’abeilles que 7,3 kilogrammes du célèbre
DDT. Un gramme de thiaméthoxame équivaut à 5,4 kg de DDT et
un gramme de clothianidine compte autant que 10,8 kg de DDT.
« Pourtant,
les populations d’oiseaux diminuent aussi en ville »
CE
QUI A ÉTÉ DIT :
« Il
faut noter qu’en ville, les populations d’oiseau ont aussi baissé
d’un tiers. »
POURQUOI
C’EST TROMPEUR
L’affirmation
sous-entend assez clairement que le rôle des pesticides n’est pas
aussi important qu’entendu car des baisses similaires sont
enregistrées en ville. Pourtant, la baisse des oiseaux nichant dans
le bâti peut être liée à d’autres facteurs. Elle n’est pas
l’indice que les pesticides ne seraient pas un déterminant majeur
du déclin des oiseaux des champs. C’est là encore une erreur de
logique.
De
manière générale, les pesticides ne sont certainement pas la seule
cause du déclin des oiseaux.
D’autres
paramètres non étudiés ?
CE
QUI A ÉTÉ DIT :
« La
cause de la disparition des insectes reste mystérieuse, les auteurs
de ce constat n’ont pas intégré ni étudié l’effet des
pesticides, des changements climatiques ou d’autres facteurs. »
POURQUOI
C’EST FAUX
Les
travaux d’une équipe internationale de biologistes, publiés en
octobre 2017 dans la revue PLoS One,
ont au contraire étudié un grand nombre de paramètres (changement
du climat au cours du temps, de l’habitat, de l’utilisation des
terres). Aucun ne permet d’expliquer le déclin observé des
insectes volants en Allemagne – un déclin de 76 % en
moins de trois décennies, qui atteint même 80 % au cours des
mois d’été.
« Nous
montrons que ce déclin est manifeste quel que soit le type d’habitat
et que les changements des conditions météorologiques
[températures,
précipitations et vitesse du vent],
l’utilisation des terres et les caractéristiques de l’habitat ne
peuvent expliquer ce déclin global »,
concluent ainsi les chercheurs. Les auteurs n’ayant pas eu accès
dans les régions étudiées aux changements d’utilisation de
produits phytosanitaires par les agriculteurs, ils n’ont pu
corréler le déclin observé aux pesticides.
Mais
leur travail permet d’écarter les principales causes possibles
sans lien avec l’agriculture. Les changements de pratique de
celle-ci sont donc les causes les plus plausibles car, écrivent-ils,
« l’intensification
de l’agriculture, incluant la disparition des marges et les
nouvelles méthodes de protection des cultures [c’est-à-dire
l’enrobage des semences par les nouvelles générations
d’insecticides systémiques]
est associée à un déclin global de la diversité des plantes, des
insectes, des oiseaux et d’autres espèces communes ».
Les
auteurs de ces travaux ont d’ailleurs peu de doutes sur
l’implication des néonicotinoïdes dans le déclin de la
biodiversité en général. « Il
faut adopter des restrictions internationales sur l’utilisation des
néonicotinoïdes sans attendre et empêcher leur remplacement par
des produits tout aussi dangereux »,
écrivent ainsi des chercheurs ayant participé à cette publication,
dans une tribune
publiée dans Le Monde.
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