jeudi 27 décembre 2018

«Les passereaux chantent depuis 10 millions d’années»


Par Olivier Lamm Article paru dans Libération le 23-12-2018


La gorgebleue à miroir est une espèce de l’ordre des passereaux. Photo Antony GARCIA. Naturimages


Le premier bioacousticien français, Jean-Claude Roché, 87 ans, qui a passé sa vie à enregistrer les mélodies des oiseaux, constate la disparition de nombre d’entre eux.
Ecouter la nature, c’est entendre les oiseaux chanter. C’est donc entendre de la musique ; et s’il n’est démontré par aucun anthropologue que l’homme s’est converti à la musique en oyant les grives ou les chardonnerets, les ornithologues sont tous d’accord pour dire que ces derniers l’ont forcément influencé. Naturellement l’homme moderne, féru de glanage et de conservation, est parti à la chasse aux chants d’oiseaux dès que la technologie lui en a donné les moyens. Dès la fin des années 20, l’ornithologue américain Arthur Augustus Allen, professeur à Cornell, eut l’idée de capter les bruants chanteurs dans le parc d’à côté pour aider ses étudiants à les reconnaître. La bioacoustique était née, ainsi qu’une nouvelle espèce de naturalistes, équipés de micros plutôt que de jumelles. Aussi un nouveau genre d’objet phonographique, aux fonctions pratiques et pédagogiques plus que musicales, mais aux vertus poétiques insoupçonnées : le disque de chant d’oiseau, à compulser pour entraîner son oreille, et plus si affinités. Ainsi Oiseaux du Venezuela, disque publié en 1973 par le label provençal l’Oiseau musicien, a agi sur l’inconscient de nombreux auditeurs jusqu’à devenir un objet culturel en soi, et se retrouver en majesté sur le dernier album de Björk, Utopia, à égalité avec les flûtes, les sons électroniques, et sa voix. Celui qui les a enregistrés s’appelle Jean-Claude Roché, et il est le premier bioacousticien français. Né en 1931, arrivé à l’ornithologie par la musique, il a publié en 1958 Oiseaux de Camargue, l’un des premiers disques de ce genre enregistrés et édités en France. Il en publiera des centaines d’autres, dont un Guide sonore des oiseaux de France étalé sur vingt-sept disques 45-tours, ainsi qu’un documentaire produit par François Truffaut (Vies d’insecte, en 1961). Comme les autres représentants de sa profession, Jean-Claude Roché est aussi devenu malgré lui le témoin privilégié de l’Armageddon écologique. Une disparition massive des oiseaux en France, notamment, qui a vu leurs populations réduites d’un tiers en quinze  ans. Si les raisons sont connues - une intensification des pratiques agricoles et une généralisation des pesticides néonicotinoïdes, également impliqués dans le déclin des abeilles et des insectes en général, ce qui aboutit à une raréfaction de nourriture -, les effets, inimaginables, commencent toujours à se faire sentir… Et entendre : comme l’ont annoncé de concert le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en mars, la nature devient à chaque printemps qui survient un peu plus silencieuse. Libération a parlé à Jean-Claude Roché, 87 ans, au téléphone pour évoquer une vie de traque musicale, et l’étrange apocalypse qui est en train de lui servir d’épilogue.
Comment avez-vous commencé à vous intéresser au chant des oiseaux ?
Quand on est tout petit, à quatre pattes dans l’herbe, les oiseaux échappent à votre perception. Alors on regarde les fourmis, les papillons. Mais les oiseaux, on les entend. Vers l’âge de 10 ans, nous avons déménagé dans une maison. Je dormais au premier étage et au-dessus de mon lit, il y avait une petite fenêtre que ma mère ouvrait par hygiène. Contre la fenêtre, il y avait un grand chêne dans lequel vivait une grive musicienne. De mars à juillet, à 3 mètres de mon lit, c’était le concert permanent. J’ai été fasciné par cet oiseau, qui est l’un des plus musiciens d’Europe.
Un proverbe dit que l’oiseau est le maître de musique de l’homme.
Les oiseaux sont sur la Terre depuis 180 millions d’années - l’archéoptéryx, ce dinosaure volant qui avait des cris gutturaux plutôt que des chants. Puis à 60 millions d’années, il y a eu les oiseaux d’eau, les hérons, mais ils ne chantaient pas non plus. Les passereaux [ensemble qui regroupe plus de la moitié des espèces d’oiseaux, ndlr], eux, chantent depuis 10 millions d’années. Les oiseaux ont atteint leur perfection évolutive bien avant nous. C’est pour ça que nous considérons depuis toujours qu’ils sont divins, ou parfaits. Ce n’est pas par hasard que les anges ont des ailes d’oiseau. Pendant que nous faisons voler des Boeing très chers et très polluants, des oiseaux de 20 grammes volent depuis l’Europe jusqu’en Afrique du Sud en se nourrissant exclusivement d’insectes. Ils perdent le tiers de leur poids en chemin mais ils arrivent en forme. C’est fabuleux.
A quel moment avez-vous eu l’idée et l’envie de les enregistrer ?
Dès que les premiers magnétophones portatifs sont apparus, en 1956-1957. Avant ça, un magnétophone, c’était gros comme une armoire. Mais à l’époque, ça n’avait rien de scientifique dans l’intention. J’ai déterminé et enregistré les oiseaux avec beaucoup de rigueur, ce qui m’a permis de travailler avec des scientifiques. Mais moi, c’était la musique qui m’intéressait. On peut venir aux oiseaux par trente-six chemins, certains par la digestion, d’autres les migrations, la reproduction… Moi, ça a été la musique.
A quel moment avez-vous eu l’idée de faire commercialiser vos enregistrements ?
J’ai rencontré Georges Albouze, qui est le premier à avoir sorti un disque de chants d’oiseaux en France. Il était ouvrier aux usines Renault. Tous les matins, il montait dans le bois de Meudon avec son vélo et sa remorque, dans laquelle il avait installé un magnétophone qui pesait 20 kilos, une batterie de voiture qui en pesait autant, des rouleaux de câbles. Quand il a sorti un petit disque au Chant du monde - qui était merdique mais qui pour l’époque était un événement -, je suis allé le voir. Des disques de chants d’oiseaux, on en fait en Europe depuis les années 20, en Suède, au Royaume-Uni. Mais en France, il n’y en avait pas. En sortant de chez lui, après notre rencontre, je savais ce que je voulais faire dans la vie.
Quand et comment avez-vous commencé à voyager hors de France pour enregistrer des environnements sonores «exotiques», c’est-à-dire composés d’espèces qui n’existent pas ici ?
Un environnement sonore, on l’enregistre parce qu’on trouve que le concert est beau. Je me sens d’autant plus chanceux d’avoir pu enregistrer aux Antilles françaises des espèces qui ont disparu depuis. En y passant dans les années 1962-1963, j’y ai trouvé des survivants.
Dans les Antilles, il y avait beaucoup de serpents. Si bien qu’on a introduit des mangoustes pour s’en débarrasser. Mais les mangoustes ont trouvé beaucoup plus simple de manger les nids d’oiseaux qui nichaient au sol ou à faible hauteur parce qu’ils n’avaient jusque-là pas d’ennemi terrestre. En quelques décennies, les troglodytes de la Martinique et la grive trembleuse ont disparu.
Quand avez-vous perçu que les oiseaux que vous enregistriez allaient peut-être disparaître prochainement ?
J’aurais volontiers fait une chasse aux espèces en voie de disparition si j’avais eu un ordre de mission et de l’argent. J’ai profité de mes déplacements pour enregistrer ce qui me plaisait avant tout, les espèces qui chantent. En France, j’ai enregistré des moineaux, j’ai aussi fait des guides sonores des canards, mais par acquit de conscience. En revanche, les grives ou les alouettes des champs, je n’en aurai jamais assez, puisque chaque mâle a son chant, unique au monde. Parmi les 11 000 espèces d’oiseaux sur la Terre, seules 2 ou 300 sont arrivées à ça.
A quel moment avez-vous perçu, par le son, que les environnements sonores que vous enregistriez se raréfiaient ?
Jeune adulte, je percevais déjà que c’était différent de quand j’étais enfant. Il n’y avait pas que les oiseaux, d’ailleurs. Je me souviens des grenouilles près de Saint-Tropez. Des cistudes [tortues d’eau] dans les cours d’eau qui ont disparu en quatre, cinq  ans. Ce qui diminue le plus chez les oiseaux, ce sont les oiseaux d’eau - en France, depuis un siècle, on a asséché les deux tiers des surfaces humides - et les oiseaux des champs. C’est la faute des pesticides. Les endroits où l’on fait des monocultures, de blé par exemple, il n’y a plus rien. Dans les vergers, où l’on traite les fruits avec douze traitements différents par an, tous les insectes sont morts, donc il n’y a plus rien à bouffer. Et comme on coupe les vieux arbres, les oiseaux n’ont plus nulle part où nicher. Mais je dois préciser que là où j’habite, dans le Gard - en forêt -, la faune n’a pas tellement bougé. Dieu merci, dans les forêts de châtaigniers, il n’y a pas de traitement. Mais les forêts de pins, c’est des cimetières. Le sol est complètement acidifié, ça tue tout. Quand on traversait la France en voiture, on voyait une nature pleine de vie, pleine d’insectes, notamment. J’étais obligé de m’arrêter régulièrement tellement mon pare-brise en était couvert. Aujourd’hui, il n’y en a presque plus. Tous ces insectes, c’était la nourriture des oiseaux. C’est dommage parce que jusqu’aux pesticides, les passereaux vivaient très bien avec les hommes. Jusqu’à il y a cinquante ans, ils trouvaient tout ce qu’il fallait manger avec le bétail, le fumier, le crottin de cheval.
Avez-vous constaté une accélération avec les effets du changement climatique ?
Il y a de nouvelles espèces qui arrivent, qui ont déménagé dans le Nord. Tout monte très vite : les guêpiers d’Europe, la cisticole des joncs, les tourterelles turques, qui ne vivaient qu’au Moyen-Orient.
Vous parlez plus des oiseaux qui arrivent que ceux qui disparaissent. Est-ce une forme d’optimisme ?
Ce qui est dramatique, c’est la destruction des milieux. Je ne vous parle que d’espèces qui s’accommodent à l’homme. Elles, elles prospèrent. C’est mauvais signe, ne vous méprenez pas ! Le fait qu’il y ait des grands corbeaux en montagne, ça veut dire qu’il n’y a plus rien d’autre ! Sur les façades des églises, dans certains villages, je me souviens de trente ou quarante mille hirondelles. Aujourd’hui, on en voit dix fois moins. La biodiversité diminue à toute vitesse. Ma chance, c’est de ne plus trop m’en rendre compte parce que je suis un vieil homme qui entend la forêt depuis sa fenêtre. J’habite dans le concert permanent. Mais je sais que c’est un luxe immense.
Ce fameux «printemps silencieux», que les ornithologues nous annoncent pour bientôt, serait-il imminent ?
Je suis encore plus pessimiste que ça. On est en train de détruire notre civilisation, et ça dépasse largement les oiseaux. Les écologistes font ce qu’ils peuvent au niveau individuel, spécifique, mais ils sont seuls face à une orientation capitaliste qui rend leurs actions inutiles, et la vie impossible sur Terre. J’ai eu la chance d’être là au bon moment, quand il y avait encore des oiseaux. Je serai mort quand ils ne seront plus là.




lundi 2 juillet 2018

STOC 683 Juin 2018


Voici le résultat de la session 3 de notre STOC 683.
Nous accueillons avec grand plaisir un nouvel aide-bagueur qui se reconnaitra.
Nous avons effectué 54 captures dont 44 oiseaux à baguer et 10 contrôle;
Capture intéressante de 1 Gobemouche noir et également 1 Grosbec.



Baguages Contrôles
Acrocephalus scirpaceus Rousserolle effarvatte 2 3
Acrocephalus palustris Rousserolle verderolle 1
Coccothraustes coccthraustes Grosbec casse-noyaux 1
Dendrocopos major Pic épeiche
1
Erithacus rubecula Rougegorge familier 10
Ficedula hypoleuca Gobemouche noir 1
Jynx torquilla Torcol fourmilier 1
Luscinia megarhychos Rossignol philomèle 1 1
Muscicapa striata Gobemouche gris 2
Parus major Mésange charbonnière 4 2
Phylloscopus collybita pouillot véloce 2
Poecile palustris Mésange nonnette 1 1
Sitta europea Sittelle torchepot 1
Sylvia atricapilla Fauvette à tête noire 8 2
Troglodytes troglodytes Troglodyte mignon 2
Turdus merula Merle noir 1
Turdus philomelos Grive musicienne 6


44 10

Gros-bec casse-noyaux (Coccothraustes coccothraustes)

samedi 9 juin 2018

STOC du 1 et 2 JUIN 2018

                                                                 Tableau des captures



Baguages Contrôles
Acrocephalus scirpaceus Rousserolle effarvatte 2 1
Certhia brachydactyla Grimpereau des bois
1
Certhia familiaris Grimpereau familier 2
Cyanistes caeruleus Mésange bleue 2
Erithacus rubecula Rougegorge familier 4 1
Fringilla coelebs Pinson des arbres
1
Lanius collurio Pie-grièche écorcheur 1 1
Luscinia megarhychos Rossignol philomèle
3
Muscicapa striata Gobemouche gris 1
Parus major Mésange charbonnière 14 6
Phylloscopus collybita pouillot véloce 2
Poecile palustris Mésange nonnette 2 1
Sylvia atricapilla Fauvette à tête noire 5 2
Troglodytes troglodytes Troglodyte mignon 1 1
Turdus merula Merle noir 3 2
Turdus philomelos Grive musicienne 2 1

Total
41 21
Pinson des arbres (Fringilla coelebs)

mardi 15 mai 2018

STOC 683

La première session du STOC 683 a eu lieu les 11 et 12 mai 2018.
Cette session a surtout été intéressante car nous avons pu recapturer des oiseaux qui ont été bagués les années précédentes lors de ce même STOC 683. Nous avons, entre-autre, capturé un couple de Pie-grièche écorcheur (Lanius collurio) qui est présent sur les lieux depuis quelques années et un couple de Bruants jaunes (Emberiza citrinella) également bagués lors de ce STOC.
49 captures ont eu lieu avec 29 oiseaux bagués et 20 contrôles (concernant 16 oiseaux) effectués.
Un grand merci à tous les participants.

Tableau des captures.


Baguages Contrôles
Fauvette à tête noire 4 2
Rossignol philomèle 3 2
Mésange charbonnière 3 1
Merle noir 3
Rougegorge familier 2 2
Pinson des arbres 2
Mésange bleue 2 1
Pouillot véloce 2 3
Sittelle torcheport 2
Grive musicienne 2
Pie-grièche écorcheur 1 3
Etourneau sansonnet 1
Fauvette des jardins 1 1
Troglodyte mignon 1
Mésange nonnette
3
Bruant jaune
2

29 20 (16)

mardi 10 avril 2018

Pourquoi les pesticides sont bien l’une des causes du déclin des oiseaux.


Plusieurs publications récentes ont relativisé la responsabilité des pesticides. Quitte à s’arranger grandement avec les faits.
LE MONDE | 29.03.2018 | Par Stéphane Foucart et Gary Dagorn
L’information n’est pas passée inaperçue. Récemment, la publication des résultats de deux études sur le déclin de nombreuses espèces d’oiseaux a connu un écho médiatique important (dont la « une » du Monde datée 21 avril). Rapidement, le ministre de la transition écologique et solidaire, Nicolas Hulot, a une fois de plus appelé à changer les pratiques agricoles pour « inverser la tendance » et réduire l’utilisation des pesticides.
Cette annonce, fruit de deux réseaux d’étude gérés par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), a cependant soulevé de vives critiques sur le rôle que jouent les pesticides dans ce déclin inquiétant, et notamment dans une chronique de vérification des faits diffusée sur Europe 1, mercredi 28 mars. Mais celles-ci ont commis plusieurs erreurs graves.
CE QUI A ÉTÉ DIT :
« Les chercheurs n’ont pas démontré le lien de causalité avec les pesticides. »
POURQUOI C’EST TROMPEUR
Les travaux de suivi des populations d’oiseaux ne cherchent pas les causes des variations d’abondance de cette faune, il est donc normal qu’ils n’apportent pas directement de « preuves » de la responsabilité des pesticides et de l’agriculture intensive, ni d’ailleurs de tout autre facteur.
Par exemple, une étude épidémiologique relevant la proportion de fumeurs touchés par un cancer du poumon ne permet pas, en elle-même, d’établir un lien de causalité entre la cigarette et la maladie. Mais cela ne signifie pas que ce lien de causalité n’existe pas.
Un ensemble d’indices concordants pour un éventuel lien de causalité
De fait, il est très rare qu’une étude unique permette d’établir un lien de causalité entre deux phénomènes : chaque étude documente un fait précis (dans le cas présent, le déclin des oiseaux des champs) et c’est un ensemble d’indices concordants, apportés par une diversité d’autres travaux, qui fondent un éventuel lien de causalité avec un autre phénomène. Affirmer que les pesticides ne sont pas les premiers responsables du déclin des oiseaux parce qu’une étude non destinée à chercher des liens de causalité n’a pas mis en évidence de lien de causalité est une erreur logique.
En revanche, d’autres études établissent un lien fort entre pesticides et déclin de la faune aviaire. Une étude publiée en 2014 dans la revue Nature a montré que la chute des populations d’oiseaux insectivores était bien liée à la concentration d’insecticides néonicotinoïdes dans l’environnement (aux Pays-Bas en l’occurrence).
Ce lien est d’ailleurs mis en évidence à des niveaux de contaminations minuscules, de l’ordre de quelques milliardièmes de gramme – ou nanogrammes – de pesticide par litre d’eau de surface prélevée dans l’environnement. « A des concentrations d’imidaclopride [une molécule de la famille des néonicotinoïdes] supérieures à 20 nanogrammes par litre, les populations d’oiseaux ont eu tendance à diminuer de 3,5 % en moyenne par an, écrivent les auteurs. Des analyses complémentaires ont révélé que ce déclin spatial n’est apparu qu’après l’introduction de l’imidaclopride aux Pays-Bas, au milieu des années 1990. »
Des chercheurs de l’Office national de chasse, de la forêt et de la faune sauvage (ONCFS) ont, de leur côté, documenté l’existence d’intoxications directes d’oiseaux granivores, qui meurent de la consommation de semences enrobées de ces pesticides.
Ce ne sont là que deux études parmi les très nombreuses publiées dans la littérature scientifique et montrant que ces nouvelles générations de pesticides, utilisées depuis le milieu des années 1990, ont des effets délétères sur de nombreux compartiments de la biodiversité. Dont les oiseaux, directement ou indirectement.
Les faibles doses de pesticides sans impact ?
CE QUI A ÉTÉ DIT :
« De faibles doses de pesticides ont peu d’impact et ces intrants pèsent trois à quatre fois moins dans le déclin des oiseaux que la modification de leur habitat. »
POURQUOI C’EST FAUX
L’étude sur laquelle s’appuie cette affirmation est celle menée par des chercheurs du Centre d’écologie et de sciences de la conservation, qui a porté sur 199 champs observés dans trois régions françaises. Elle n’a pas suivi ces parcelles sur une « longue période » mais seulement entre 2009 et 2011. Un suivi temporel aussi bref ne permet pas de mesurer les effets sur la biodiversité des changements de pratiques introduits au milieu des années 1990 avec l’introduction de nouvelles générations d’insecticides systémiques.
En outre, la pondération citée (« ces intrants pèsent trois à quatre fois moins dans le déclin des oiseaux que la modification de leur habitat ») est calculée en comparant des exploitations entre elles : c’est une donnée relative qui ne permet pas de mesurer les responsabilités partagées du déclin des oiseaux constaté depuis plusieurs décennies.
Au total, il existe plusieurs centaines d’études publiées dans la littérature scientifique montrant sans ambiguïté les effets délétères des néonicotinoïdes sur des invertébrés non ciblés. Dix-huit chercheurs d’une dizaine de nationalités ont passé en revue l’ensemble de cette littérature et en ont publié, en 2015, une longue synthèse dans la revue Environnemental Science and Pollution Research. Leur conclusion :
« Malgré d’importantes lacunes dans les connaissances et des incertitudes, il existe suffisamment de connaissances pour conclure que les niveaux actuels de pollution par les néonicotinoïdes et le fipronil, résultant des utilisations actuellement autorisées, dépassent souvent les plus faibles concentrations auxquelles des effets nocifs sont observés. Ils sont donc susceptibles d’avoir des impacts biologiques et écologiques négatifs à grande échelle et ce sur une vaste gamme d’invertébrés non ciblés, dans les habitats terrestres, aquatiques, marins et benthiques. »
Dans la même revue, trois autres chercheurs ont publié, la même année, une synthèse de près de cent cinquante études montrant la toxicité directe de ces substances pour les mammifères, les oiseaux, etc.
Un gramme d’imidaclopride peut tuer autant d’abeilles que 7,3 kilogrammes de DDT
En ce qui concerne les néonicotinoïdes, les doses utilisées ne sont pas « essentielles ». En effet, ils sont principalement utilisés de manière systématique et préventive, en gainage des semences mises en terre. Or certains d’entre eux, en particulier l’imidaclopride, sont très persistants et s’accumulent d’année en année dans l’environnement. Au point que dans des régions agricoles du Royaume-Uni, les fleurs sauvages sont également contaminées et forment une source d’exposition importante pour les abeilles domestiques, ainsi que l’ont montré des chercheurs britanniques.
En outre, ces pesticides sont les plus puissants jamais synthétisés et agissent à très faibles doses : un gramme d’imidaclopride peut tuer autant d’abeilles que 7,3 kilogrammes du célèbre DDT. Un gramme de thiaméthoxame équivaut à 5,4 kg de DDT et un gramme de clothianidine compte autant que 10,8 kg de DDT.
« Pourtant, les populations d’oiseaux diminuent aussi en ville »
CE QUI A ÉTÉ DIT :
« Il faut noter qu’en ville, les populations d’oiseau ont aussi baissé d’un tiers. »
POURQUOI C’EST TROMPEUR
L’affirmation sous-entend assez clairement que le rôle des pesticides n’est pas aussi important qu’entendu car des baisses similaires sont enregistrées en ville. Pourtant, la baisse des oiseaux nichant dans le bâti peut être liée à d’autres facteurs. Elle n’est pas l’indice que les pesticides ne seraient pas un déterminant majeur du déclin des oiseaux des champs. C’est là encore une erreur de logique.
De manière générale, les pesticides ne sont certainement pas la seule cause du déclin des oiseaux.
D’autres paramètres non étudiés ?
CE QUI A ÉTÉ DIT :
« La cause de la disparition des insectes reste mystérieuse, les auteurs de ce constat n’ont pas intégré ni étudié l’effet des pesticides, des changements climatiques ou d’autres facteurs. »
POURQUOI C’EST FAUX
Les travaux d’une équipe internationale de biologistes, publiés en octobre 2017 dans la revue PLoS One, ont au contraire étudié un grand nombre de paramètres (changement du climat au cours du temps, de l’habitat, de l’utilisation des terres). Aucun ne permet d’expliquer le déclin observé des insectes volants en Allemagne – un déclin de 76 % en moins de trois décennies, qui atteint même 80 % au cours des mois d’été.
« Nous montrons que ce déclin est manifeste quel que soit le type d’habitat et que les changements des conditions météorologiques [températures, précipitations et vitesse du vent], l’utilisation des terres et les caractéristiques de l’habitat ne peuvent expliquer ce déclin global », concluent ainsi les chercheurs. Les auteurs n’ayant pas eu accès dans les régions étudiées aux changements d’utilisation de produits phytosanitaires par les agriculteurs, ils n’ont pu corréler le déclin observé aux pesticides.
Mais leur travail permet d’écarter les principales causes possibles sans lien avec l’agriculture. Les changements de pratique de celle-ci sont donc les causes les plus plausibles car, écrivent-ils, « l’intensification de l’agriculture, incluant la disparition des marges et les nouvelles méthodes de protection des cultures [c’est-à-dire l’enrobage des semences par les nouvelles générations d’insecticides systémiques] est associée à un déclin global de la diversité des plantes, des insectes, des oiseaux et d’autres espèces communes ».
Les auteurs de ces travaux ont d’ailleurs peu de doutes sur l’implication des néonicotinoïdes dans le déclin de la biodiversité en général. « Il faut adopter des restrictions internationales sur l’utilisation des néonicotinoïdes sans attendre et empêcher leur remplacement par des produits tout aussi dangereux », écrivent ainsi des chercheurs ayant participé à cette publication, dans une tribune publiée dans Le Monde.

samedi 24 mars 2018

Les oiseaux disparaissent des campagnes françaises à une « vitesse vertigineuse »


Ce déclin « catastrophique », d’un tiers en quinze ans, est largement dû aux pratiques agricoles, selon les études du CNRS et du Muséum d’histoire naturelle
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Le printemps risque fort d’être silencieux. Le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) annoncent, mardi 20 mars, les résultats principaux de deux réseaux de suivi des oiseaux sur le territoire français et évoquent un phénomène de « disparition massive », « proche de la catastrophe écologique ». « Les oiseaux des campagnes françaises disparaissent à une vitesse vertigineuse, précisent les deux institutions dans un communiqué commun. En moyenne, leurs populations se sont réduites d’un tiers en quinze ans. »

Attribué par les chercheurs à l’intensification des pratiques agricoles de ces vingt-cinq dernières années, le déclin observé est plus particulièrement marqué depuis 2008-2009, « une période qui correspond, entre autres, à la fin des jachères imposées par la politique agricole commune [européenne], à la flambée des cours du blé, à la reprise du suramendement au nitrate permettant d’avoir du blé surprotéiné et à la généralisation des néonicotinoïdes », ces fameux insecticides neurotoxiques, très persistants, notamment impliqués dans le déclin des abeilles, et la raréfaction des insectes en général.
Plus inquiétant, les chercheurs observent que le rythme de disparition des oiseaux s’est encore intensifié ces deux dernières années.

Résultats de deux réseaux de surveillance
Le constat est d’autant plus solide qu’il est issu de deux réseaux de surveillance distincts, indépendants et relevant de deux méthodologies différentes. Le premier, le programme STOC (Suivi temporel des oiseaux communs) est un réseau de sciences participatives porté par le Muséum national d’histoire naturelle. Il rassemble les observations d’ornithologues professionnels et amateurs sur l’ensemble du territoire et dans différents habitats (ville, forêt, campagne). Le second s’articule autour de 160 points de mesure de 10 hectares, suivis sans interruption depuis 1994 dans la « zone-atelier « du CNRS Plaine et val de Sèvre, où des scientifiques procèdent à des comptages réguliers.

« Les résultats de ces deux réseaux coïncident largement et notent une chute marquée des espèces spécialistes des plaines agricoles, comme l’alouette », constate l’écologue Vincent Bretagnolle, chercheur au Centre d’études biologiques de Chizé, dans les Deux-Sèvres (CNRS et université de La Rochelle). Ce qui est très inquiétant est que, sur notre zone d’étude, des espèces non spécialistes des écosystèmes agricoles, comme le pinson, la tourterelle, le merle ou le pigeon ramier, déclinent également. »

Sur la zone-atelier du CNRS – 450 km2 de plaine agricole étudiés par des agronomes et des écologues depuis plus de vingt ans –, la perdrix est désormais virtuellement éteinte. « On note de 80 % à 90 % de déclin depuis le milieu des années 1990, mais les derniers spécimens que l’on rencontre sont issus des lâchers d’automne, organisés par les chasseurs, et ils ne sont que quelques rescapés », précise M. Bretagnolle.

Déclin massif des insectes
Pour le chercheur français, « on constate une accélération du déclin à la fin des années 2000, que l’on peut associer, mais seulement de manière corrélative et empirique, à l’augmentation du recours à certains néonicotinoïdes, en particulier sur le blé, qui correspond à un effondrement accru de populations d’insectes déjà déclinantes ».

A l’automne 2017, des chercheurs allemands et britanniques conduits par Caspar Hallmann (université Radboud, Pays-Bas) ont, pour la première fois, mis un chiffre sur le déclin massif des invertébrés depuis le début des années 1990 : selon leurs travaux, publiés en octobre dans la revue PloS One, le nombre d’insectes volants a décliné de 75 % à 80 % sur le territoire allemand.
Des mesures encore non publiées, réalisées en France dans la zone-atelier Plaine et val de Sèvre, sont cohérentes avec ces chiffres. Elles indiquent que le carabe, le coléoptère le plus commun de ce type d’écosystème, a perdu près de 85 % de ses populations au cours des vingt-trois dernières années, sur la zone étudiée par les chercheurs du CNRS.

« Or de nombreuses espèces d’oiseaux granivores passent par un stade insectivore au début de leur vie, explique Christian Pacteau, référent pour la biodiversité à la Ligue de protection des oiseaux (LPO). La disparition des invertébrés provoque donc naturellement un problème alimentaire profond pour de nombreuses espèces d’oiseaux et ce problème demeure invisible : on va accumuler de petites pertes, nid par nid, qui font que les populations ne sont pas remplacées. »

Dégradations profondes de l’environnement
La disparition en cours des oiseaux des champs n’est que la part observable de dégradations plus profondes de l’environnement. « Il y a moins d’insectes, mais il y a aussi moins de plantes sauvages et donc moins de graines, qui sont une ressource nutritive majeure pour de nombreuses espèces, relève Frédéric Jiguet, professeur de biologie de la conservation au Muséum et coordinateur du réseau d’observation STOC. Que les oiseaux se portent mal indique que c’est l’ensemble de la chaîne trophique [chaîne alimentaire] qui se porte mal. Et cela inclut la microfaune des sols, c’est-à-dire ce qui les rend vivants et permet les activités agricoles. »

La situation française n’est pas différente de celle rencontrée ailleurs en Europe. « On est dans la continuité d’une tendance lourde qui touche l’ensemble des pays de l’Union européenne », note M. Jiguet. Est-elle réversible ? « Trois pays, les Pays-Bas, la Suède et le Royaume-Uni, ont mis en œuvre des politiques nationales volontaristes pour inverser cette tendance lourde, en aménageant à la marge le modèle agricole dominant, explique Vincent Bretagnolle. Aucun de ces trois pays n’est parvenu à inverser la tendance : pour obtenir un effet tangible, il faut changer les pratiques sur des surfaces considérables. Sinon, les effets sont imperceptibles. Ce n’est pas un problème d’agriculteurs, mais de modèle agricole : si on veut enrayer le déclin de la biodiversité dans les campagnes, il faut en changer, avec les agriculteurs. »

Article parut dans Le Monde, le 20.03.2018, par Stéphane Foucart