Le
Pouillot à grands sourcils, futur visiteur hivernal de nos jardins ?
(extrait
d’un article paru sur ornithomedia en octobre 2014)
Un
individu a été découvert en février 2015 dans des jardins de
Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis), et il était encore présent
le 11 mars.
Le
Pouillot à grands sourcils (Phylloscopus inornatus)
niche dans une vaste zone allant de l’ouest de l'Oural à l'océan
Pacifique, avec une extension vers le nord de l'Inde. Une population
isolée se reproduit dans l'ouest de la Chine. Son aire d'hivernage
principale se situe dans les zones boisées du sud-est de l'Asie au
nord-ouest de l'Iran. Jusqu'aux années 1970, ce passereau
était considéré comme une vraie rareté en Europe de l'Ouest et
les données étaient soumises à homologation nationale. Mais depuis
les années 1990, la fréquence des observations (qui concernent
surtout des jeunes de premier hiver) a fortement augmenté : la
plupart des oiseaux sont vus en automne (septembre-novembre),
mais des individus sont aussi désormais notés en hiver.
Pourquoi
voit-on des Pouillots à grands sourcils en Europe de l'Ouest ?
En
Europe de l’Ouest, les Pouillots à grands sourcils sont
principalement observés le long des côtes et en automne (surtout
entre octobre et novembre). Il a pu être vérifié que ces individus
se dirigeaient vers l'Ouest ou le Sud-ouest du continent : un oiseau
bagué à Hedmarl en Norvège en 1990 a été capturé cinq jours
plus tard sur l'île de Fair en Écosse. Le passage débute dès le
mois de septembre en Scandinavie (les oiseaux quittent leurs sites de
nidification sibériens à la fin du mois d'août). Ils sont bien
plus rares en Europe orientale (la première donnée roumaine date
seulement du 26 septembre 2013 !) et au printemps. Des oiseaux sont
de plus en plus souvent notés en hiver.
Plusieurs
hypothèses pourraient expliquer l’arrivée de ces passereaux
sibériens en Europe de l'Ouest : l'existence d'une zone d'hivernage
méconnue ou en formation dans l’Ouest et le Sud-Ouest de l'Europe
et dans le Nord-ouest de l'Afrique ; la migration inversée, au cours
de laquelle des pouillots (majoritairement des oiseaux de premier
hiver) se dirigeraient en automne vers l'Europe au lieu de rejoindre
l'Asie du Sud ou de l'Ouest pour hiverner ; la migration exploratoire
(ou "zwischenzug"), au cours de laquelle les pouillots qui
se sont dirigés vers l'Europe en automne rejoindraient leurs sites
d'hivernage classiques asiatiques plus tard dans la saison.
Le
nombre de Pouillots à grands sourcils signalés en hiver en Europe
de l’Ouest et en Afrique du Nord est aussi en augmentation depuis
quelques années. En France, plusieurs individus ont été signalés
en hiver ces dernières années. Citons par exemple un oiseau dans le
parc botanique de Kerbihan à Hennebont (Morbihan) en décembre 2014
et en janvier 2015, un en janvier 2015 au Riantec (Morbihan), un dans
le secteur de la Muraille des Pères à La Rochelle
(Charente-Maritime) en décembre 2014, un à Saint-Denis-d'Oléron
(Charente-Maritime) en décembre 2014, un du 11 janvier au 6 mars
1998 dans les Alpes-Maritimes ou encore un dans le Var du 6 janvier
au 3 février 1991.
Une
possible voie migratoire entre la Russie et l’Europe de l’Ouest
L’hypothèse
de l’existence d'une zone d'hivernage régulière de l’espèce
dans la péninsule ibérique et en Afrique du Nord a été évoquée
dans la littérature dès 1992. Une nouvelle (ou insoupçonnée) voie
de migration pourrait relier les sites de reproduction de l’ouest
de l’Oural et l’ouest du Paléarctique occidental,
des îles britanniques à la péninsule ibérique et à l’Afrique
du Nord. Et d’après l’augmentation de nombre de Pouillots à
grands sourcils observés depuis les années 1980, elle serait de
plus en plus fréquentée. Elle a en effet des avantages : le trajet
est plus court et moins périlleux que vers l’Asie et le taux de
survie hivernal est probablement plus élevé grâce aux températures
hivernales de plus en plus clémentes.
La formation relativement
rapide (en une cinquantaine d’années) d’une nouvelle route
migratoire a été étudiée chez la Fauvette à tête noire (Sylvia
atricapilla) : des oiseaux d’Europe centrale, qui hivernaient
autrefois en Espagne, passent désormais la mauvaise saison dans les
îles britanniques. Elles bénéficient de l’apport de nourriture
dans les jardins, de la hausse moyenne des températures hivernales
et du trajet plus court. Les fauvettes ayant fait ce choix retournent
plus tôt (dix jours en moyenne) dans leurs zones de nidification que
les autres, et cette séparation temporelle serait à l’origine de
l’apparition de différences génétiques.
L’augmentation
du nombre de Pouillots à grands sourcils hivernant en Europe de
l’Ouest rappelle ce que l’on constate chez le Pipit de Richard
(Anthus richardi), un autre passereau sibérien, dont un petit
nombre passe désormais la mauvaise saison en Espagne. Le nombre de
données hivernales de Pouillots véloces sibériens (Phylloscopus
collybita tristis) et de Pouillots de Hume (Phylloscopus
humei) semble aussi en augmentation en France et dans les pays
voisins.
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