Ce déclin
« catastrophique », d’un tiers en quinze ans, est
largement dû aux pratiques agricoles, selon les études du CNRS et
du Muséum d’histoire naturelle
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Le printemps
risque fort d’être silencieux. Le Muséum national d’histoire
naturelle (MNHN) et le Centre
national de la recherche scientifique (CNRS) annoncent, mardi
20 mars, les résultats principaux de deux réseaux de suivi des
oiseaux sur le territoire français et évoquent un phénomène de
« disparition
massive »,
« proche de la catastrophe écologique ».
« Les
oiseaux des campagnes françaises disparaissent à une vitesse
vertigineuse, précisent
les deux institutions dans un communiqué commun. En
moyenne, leurs populations se sont réduites d’un tiers en quinze
ans. »
Attribué par les
chercheurs à l’intensification des pratiques agricoles de ces
vingt-cinq dernières années, le déclin observé est plus
particulièrement marqué depuis 2008-2009, « une
période qui correspond, entre autres, à la fin des jachères
imposées par la politique
agricole commune [européenne],
à la flambée des cours du blé, à la reprise du suramendement au
nitrate permettant d’avoir du blé surprotéiné et à la
généralisation des néonicotinoïdes », ces
fameux insecticides neurotoxiques, très persistants, notamment
impliqués dans le déclin des abeilles, et la raréfaction des
insectes en général.
Plus inquiétant, les
chercheurs observent que le rythme de disparition des oiseaux s’est
encore intensifié ces deux dernières années.
Résultats de deux
réseaux de surveillance
Le constat est
d’autant plus solide qu’il est issu de deux réseaux de
surveillance distincts, indépendants et relevant de deux
méthodologies différentes. Le premier, le programme STOC (Suivi
temporel des oiseaux communs) est un réseau de sciences
participatives porté par le Muséum national d’histoire naturelle.
Il rassemble les observations d’ornithologues professionnels et
amateurs sur l’ensemble du territoire et dans différents habitats
(ville, forêt, campagne). Le second s’articule autour de
160 points de mesure de 10 hectares, suivis sans
interruption depuis 1994 dans la « zone-atelier « du CNRS
Plaine et val de Sèvre, où des scientifiques procèdent à des
comptages réguliers.
« Les
résultats de ces deux réseaux coïncident largement et notent une
chute marquée des espèces spécialistes des plaines agricoles,
comme l’alouette »,
constate l’écologue Vincent Bretagnolle, chercheur au Centre
d’études biologiques de Chizé, dans les Deux-Sèvres (CNRS et
université de La Rochelle). Ce
qui est très inquiétant est que, sur notre zone d’étude, des
espèces non spécialistes des écosystèmes agricoles, comme le
pinson, la tourterelle, le merle ou le pigeon ramier, déclinent
également. »
Sur la zone-atelier
du CNRS – 450 km2 de plaine agricole étudiés par des
agronomes et des écologues depuis plus de vingt ans –, la perdrix
est désormais virtuellement éteinte. « On
note de 80 % à 90 % de déclin depuis le milieu des années
1990, mais les derniers spécimens que l’on rencontre sont issus
des lâchers d’automne, organisés par les chasseurs, et ils ne
sont que quelques rescapés »,
précise M. Bretagnolle.
Déclin massif des
insectes
Pour le chercheur
français, « on
constate une accélération du déclin à la fin des années 2000,
que l’on peut associer,
mais seulement de manière corrélative et empirique, à
l’augmentation du recours à certains néonicotinoïdes, en
particulier sur le blé, qui correspond à un effondrement accru de
populations d’insectes déjà déclinantes ».
A l’automne 2017,
des chercheurs allemands et britanniques conduits par Caspar Hallmann
(université Radboud, Pays-Bas)
ont, pour la première fois, mis un chiffre sur le déclin massif des
invertébrés depuis le début des années 1990 : selon leurs
travaux, publiés en octobre dans la revue PloS
One,
le nombre d’insectes volants a décliné de 75 % à 80 %
sur le territoire allemand.
Des mesures encore
non publiées, réalisées en France
dans la zone-atelier Plaine et val de Sèvre, sont cohérentes
avec ces chiffres. Elles indiquent que le carabe, le coléoptère le
plus commun de ce type d’écosystème, a perdu près de 85 %
de ses populations au cours des vingt-trois dernières années, sur
la zone étudiée par les chercheurs du CNRS.
« Or de
nombreuses espèces d’oiseaux granivores passent par un stade
insectivore au début de leur vie,
explique Christian Pacteau, référent pour la biodiversité à la
Ligue de protection des oiseaux (LPO). La
disparition des invertébrés provoque donc naturellement un problème
alimentaire profond pour de nombreuses espèces d’oiseaux et ce
problème demeure invisible : on va accumuler
de petites pertes, nid par nid, qui font que les populations ne sont
pas remplacées. »
Dégradations
profondes de l’environnement
La disparition en
cours des oiseaux des champs n’est que la part observable de
dégradations plus profondes de l’environnement.
« Il
y a moins d’insectes, mais il y a aussi moins de plantes sauvages
et donc moins de graines, qui sont une ressource nutritive majeure
pour de nombreuses espèces,
relève Frédéric Jiguet, professeur de biologie
de la conservation au Muséum et coordinateur du réseau
d’observation STOC. Que
les oiseaux se portent mal indique que c’est l’ensemble de la
chaîne trophique [chaîne
alimentaire]
qui se porte mal. Et cela inclut la microfaune des sols, c’est-à-dire
ce qui les rend vivants et permet les activités agricoles. »
La situation
française n’est pas différente de celle rencontrée ailleurs en
Europe. « On
est dans la continuité d’une tendance lourde qui touche l’ensemble
des pays de l’Union
européenne », note
M. Jiguet. Est-elle réversible ? « Trois
pays, les Pays-Bas, la Suède
et le Royaume-Uni,
ont mis en œuvre des politiques nationales volontaristes pour
inverser
cette tendance lourde, en aménageant à la marge le modèle agricole
dominant,
explique Vincent Bretagnolle. Aucun
de ces trois pays n’est parvenu à inverser la tendance : pour
obtenir
un effet tangible, il faut changer
les pratiques sur des surfaces considérables. Sinon, les effets sont
imperceptibles. Ce n’est pas un problème d’agriculteurs, mais de
modèle agricole : si on veut enrayer
le déclin de la biodiversité dans les campagnes, il faut en
changer, avec les agriculteurs. »
Article parut dans Le Monde, le 20.03.2018, par Stéphane Foucart
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