mercredi 16 septembre 2015

Le Pouillot à grands sourcils

Le Pouillot à grands sourcils, futur visiteur hivernal de nos jardins ?
(extrait d’un article paru sur ornithomedia en octobre 2014)
Un individu a été découvert en février 2015 dans des jardins de Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis), et il était encore présent le 11 mars.
Le Pouillot à grands sourcils (Phylloscopus inornatus) niche dans une vaste zone allant de l’ouest de l'Oural à l'océan Pacifique, avec une extension vers le nord de l'Inde. Une population isolée se reproduit dans l'ouest de la Chine. Son aire d'hivernage principale se situe dans les zones boisées du sud-est de l'Asie au nord-ouest de l'Iran. Jusqu'aux années 1970, ce passereau était considéré comme une vraie rareté en Europe de l'Ouest et les données étaient soumises à homologation nationale. Mais depuis les années 1990, la fréquence des observations (qui concernent surtout des jeunes de premier hiver) a fortement augmenté : la plupart des oiseaux sont vus en automne (septembre-novembre), mais des individus sont aussi désormais notés en hiver.
Pourquoi voit-on des Pouillots à grands sourcils en Europe de l'Ouest ?
En Europe de l’Ouest, les Pouillots à grands sourcils sont principalement observés le long des côtes et en automne (surtout entre octobre et novembre). Il a pu être vérifié que ces individus se dirigeaient vers l'Ouest ou le Sud-ouest du continent : un oiseau bagué à Hedmarl en Norvège en 1990 a été capturé cinq jours plus tard sur l'île de Fair en Écosse. Le passage débute dès le mois de septembre en Scandinavie (les oiseaux quittent leurs sites de nidification sibériens à la fin du mois d'août). Ils sont bien plus rares en Europe orientale (la première donnée roumaine date seulement du 26 septembre 2013 !) et au printemps. Des oiseaux sont de plus en plus souvent notés en hiver.
Plusieurs hypothèses pourraient expliquer l’arrivée de ces passereaux sibériens en Europe de l'Ouest : l'existence d'une zone d'hivernage méconnue ou en formation dans l’Ouest et le Sud-Ouest de l'Europe et dans le Nord-ouest de l'Afrique ; la migration inversée, au cours de laquelle des pouillots (majoritairement des oiseaux de premier hiver) se dirigeraient en automne vers l'Europe au lieu de rejoindre l'Asie du Sud ou de l'Ouest pour hiverner ; la migration exploratoire (ou "zwischenzug"), au cours de laquelle les pouillots qui se sont dirigés vers l'Europe en automne rejoindraient leurs sites d'hivernage classiques asiatiques plus tard dans la saison.

Le nombre de Pouillots à grands sourcils signalés en hiver en Europe de l’Ouest et en Afrique du Nord est aussi en augmentation depuis quelques années. En France, plusieurs individus ont été signalés en hiver ces dernières années. Citons par exemple un oiseau dans le parc botanique de Kerbihan à Hennebont (Morbihan) en décembre 2014 et en janvier 2015, un en janvier 2015 au Riantec (Morbihan), un dans le secteur de la Muraille des Pères à La Rochelle (Charente-Maritime) en décembre 2014, un à Saint-Denis-d'Oléron (Charente-Maritime) en décembre 2014, un du 11 janvier au 6 mars 1998 dans les Alpes-Maritimes ou encore un dans le Var du 6 janvier au 3 février 1991.
Une possible voie migratoire entre la Russie et l’Europe de l’Ouest
L’hypothèse de l’existence d'une zone d'hivernage régulière de l’espèce dans la péninsule ibérique et en Afrique du Nord a été évoquée dans la littérature dès 1992. Une nouvelle (ou insoupçonnée) voie de migration pourrait relier les sites de reproduction de l’ouest de l’Oural et l’ouest du Paléarctique occidental, des îles britanniques à la péninsule ibérique et à l’Afrique du Nord. Et d’après l’augmentation de nombre de Pouillots à grands sourcils observés depuis les années 1980, elle serait de plus en plus fréquentée. Elle a en effet des avantages : le trajet est plus court et moins périlleux que vers l’Asie et le taux de survie hivernal est probablement plus élevé grâce aux températures hivernales de plus en plus clémentes. 
La formation relativement rapide (en une cinquantaine d’années) d’une nouvelle route migratoire a été étudiée chez la Fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla) : des oiseaux d’Europe centrale, qui hivernaient autrefois en Espagne, passent désormais la mauvaise saison dans les îles britanniques. Elles bénéficient de l’apport de nourriture dans les jardins, de la hausse moyenne des températures hivernales et du trajet plus court. Les fauvettes ayant fait ce choix retournent plus tôt (dix jours en moyenne) dans leurs zones de nidification que les autres, et cette séparation temporelle serait à l’origine de l’apparition de différences génétiques.L’augmentation du nombre de Pouillots à grands sourcils hivernant en Europe de l’Ouest rappelle ce que l’on constate chez le Pipit de Richard (Anthus richardi), un autre passereau sibérien, dont un petit nombre passe désormais la mauvaise saison en Espagne. Le nombre de données hivernales de Pouillots véloces sibériens (Phylloscopus collybita tristis) et de Pouillots de Hume (Phylloscopus humei) semble aussi en augmentation en France et dans les pays voisins.

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